Pjesa Nė ēifligun e Esat Pashė
Toptanit nė origjinal
Au
jeune royaume dAlbanie, by Gabriel Louis-Jaray
* * *
Non loin de la est la propriete de la famille d'Essad Pacha. Essad
Pacha, mis a l'ordre du jour de l'Europe par son
traite avec le roi Nicolas de Montenegro et la reddition a celui-ci de
Scutari, par sa proclamation pretendue comme chef de l'Albanie et son voyage
en Italie et en Europe, n'etait, quand je le visitais, que le chef des
Toptan. Mais les Toptan sont parmi les beys d'Albanie une des familles les
plus illustres et les plus anciennes; comme celle des Vlora a Vallona, comme
celle des Bagovic a Ipek, comme celle des Djenak en Mirditie, comme celle des
Bitchaktchy a El-Bassam, celle des Toptan domine de sa
puissance, de sa richesse, de ses relations et de son anciennete Tirana et
toute sa region; parmi cette feodalite terrienne d'Albanie, dont les chefs
les plus influents sont Ismail-Kemal, Zenel bey, Pernk Pacha, Derwisch bey,
une place a part merite d'etre faite a Essad Pacha.
J'etais introduit aupres d'un des membres principaux de la famille, Refik bey
Toptan, et je devais me rendre avec lui au congres
albanais d'El Bassam; a la veille de son depart pour cette derniere ville,
nous allons ensemble chez son cousin Essad; la demeure de celui-ci est aux
portes de Tirana: une pelouse immense, quelques arbres, une maison basse et
longue presente un aspect de grande ferme cossue et vaste; la-bas, sous un
chataignier, Essad Pacha est assis avec quelques familiers; il vient de subir
un accident, garde encore la jambe allongee et peut difficilement faire
quelques pas.
Correctement vetu a l'europeenne, le fez sur la
tete, une longue canne mince a tete d'or a la main, il apparait dans toute la
force de l'age. Il a a peine depasse la quarantaine;
de taille moyenne, les yeux percants, il ne manque assurement ni
d'intelligence, ni meme d'astuce; mais sa culture parait tres rudimentaire et
il n'a meme pas ce vernis qu'a donne a son cousin Refik le contact des choses
d'Occident et la vision directe de nos villes et de notre civilisation. On
sent en lui l'homme de guerre, energique, determine, brutal, mais moins delie
peut-etre que d'autres beys d'ici ou d'ailleurs.
Quand je visitais Essad, c'etait la lutte entre Albanais
et Jeunes-Turcs; ceux-ci avaient d'abord use de la douceur et de la
flatterie, puis avaient cru persuader les Albanais de se confier a eux; ils
avaient tenu a Dibra un congres albanais truque, a qui ils avaient fait voter
le paiement de la dime, l'acceptation du service militaire, l'usage de la
langue turque comme langue officielle et langue de l'ecole, et l'emploi des
caracteres turcs pour l'ecriture de la langue albanaise; les beys du nord de
l'Albanie s'etaient entierement desinteresses du congres et ignoraient
presque ses resolutions; mais ceux du centre et du sud jugeaient une riposte
necessaire et, contre le gre des Turcs, pour affirmer leur volonte et leur
nationalite, ils decidaient de tenir a El-Bassam, au coeur de l'Albanie, un
congres purement albanais ou les revendications du pays seraient proclamees. Les
Bitchaktchy d'El-Bassam et les Toptan de Tirana etaient a la tete du
mouvement; Essad Pacha y etait tout acquis.
Les Jeunes-Turcs, pour contrecarrer ces efforts, s'aviserent d'un moyen qui
n'etait pas sans ingeniosite, mais qui exalta au plus haut point la colere
des beys. Ils designerent comme Kaimakan a Tirana Hussein bey Vrion, dont le
pere Assiz Pacha etait depute de Berat, et lui prescrivirent une politique
sociale tres curieuse, surveillee d'ailleurs par des emissaires speciaux.
Quoique albanais, mais fonctionnaire docile, Hussein s'efforcait d'exciter la
population des paysans contre leurs seigneurs, la population des artisans
contre les beys; les agents des Jeunes-Turcs parcouraient les bazars,
couraient dans les marches et partout annoncaient que le gouvernement
prendrait la terre aux beys pour la diviser entre le peuple, si le peuple
etait fidele aux ordres de la Sublime Porte.
Usant du fanatisme religieux, jouant du desir de la terre, ils avaient fini
par repandre dans certains villages un veritable esprit d'hostilite contre
les beys; aussi, quand ceux-ci voulurent fonder leurs clubs, centre de
reunion contre la politique turque, et que le pouvoir resolute de les fermer,
le gouvernement s'avisa de profiter de cette agitation; il amassa la
population dans plusieurs villages des environs, la conduisit aux lieux ou
les clubs etaient ouverts et laissa des scenes de desordre se produire; sous
pretexte de calmer les esprits, il decida la cloture de tous les clubs.
Cette politique sociale menacait les beys dans leur influence hereditaire:
les Jeunes-Turcs auraient-ils reussi a creer en Albanie une veritable lutte
de classe, pour abattre le regime feodal et l'influence antagoniste des beys,
c'est une question que les evenements n'ont pas laisse poser; mais on devine
le ressentiment des beys et, si l'on songe que c'est a Tirana que cette
politique s'est surtout affirmee, on peut facilement concevoir l'etat
d'esprit d'Essad Pacha a l'egard de la
Jeune-Turquie, qu'il distinguait soigneusement de la Turquie tout
court.
De la mefiance extreme qu'il ressentait alors, il serait sans doute passe a
des sentiments plus vifs et plus agissants, quand une occasion inesperee
amena la famille des Toptan a concevoir les plus hautes ambitions. En
Albanie, Tirana et El-Bassam, cites antiques et voisines, sont au coeur du
pays; c'est le lieu geographique ou peut, ou doit etre le centre de reunion
des elements albanais du nord, du sud et de l'est; c'est l'Ile-de-France
albanaise; c'est Beauvais, Compiegne ou Paris avec, en facade sur
l'Adriatique, Durazzo comme jadis Rouen etait le port sur la Manche. C'est la
que les tendances diverses ont des points de contact; Toscs du sud, Guegues
du nord orthodoxes, musulmans, catholiques, tous sont presents de Durazzo a El-Bassam sur les bords du Scoumbi, quoique les
musulmans dominent. La
nature a dicte le choix; c'est la que l'Albanie autonome devait etablir sa
capitale. Vallona et Scutari sont aux extremites du
pays, sans contact, ni connaissance des autres regions lointaines; a Scutari,
pas un orthodoxe, a Vallona, pas un catholique ne demeure; ici et la, des
gouvernements de partis peuvent s'organiser; mais pour qu'un pouvoir central
et national soit capable de durer, c'est dans la region centrale de Durazzo,
Tirana, El-Bassam ou meme Kroia qu'il doit fixer sa residence.
Les Toptan pouvaient d'autant moins oublier ces faits, qu'Ismail Kemal n'a
jamais ete de leurs amis; au congres d'El-Bassam, les beys d'El-Bassam, de
Berat, de Koritza, de Vallona etaient fort chauds partisans d'Ismail; les
Toptan se reservaient; ils trouvaient deja excessive l'influence qu'exercait
cet homme politique dans l'Albanie d'avant la
guerre; ils la combattaient et rappelaient qu'Ismail avait ete traitre a la
Turquie sous l'ancien regime, en complotant pour l'independance de l'Albanie,
et ajoutaient que, quoique pauvre, il avait toujours eu des fonds a sa
disposition, dont ses relations avec l'etranger pouvaient expliquer
l'origine. Les Toptan, au contraire, se piquaient d'etre des
Albanais a la fois loyaux a l'egard de la Porte et
tres soucieux des libertes albanaises. Je me
rappelle encore le mot qui termina mon entretien avec Essad Pacha et qui dans
sa concision etait tout un programme: "Albanais, mais Osmanlis".
Aussi, quand on a songe a donner un chef a l'Albanie
autonome, il n'est pas etonnant que le premier des Toptan fut sur les rangs;
il ne pouvait oublier ses origines, telles que Refik bey me les conta. Au
temps du grand Scanderbeg, Topia ou Tobia etait duc de Durazzo; il avait trois freres et l'un d'eux epousa une soeur de
Scanderbeg; vint en 1467 la mort de Scanderbeg a Alessio; Topia avait repris
le pouvoir dans la ville de Kroia, qu'il avait jadis cede a Scanderbeg en
gage d'amitie; il fut a son tour vaincu et tue par les Turcs qui emmenerent
avec eux un enfant issu du mariage de la soeur de Scanderbeg; un des
officiers de la maison des Topia le suivit dans sa captivite, l'eleva et ce
fut Ali bey, fondateur de la famille des Toptan. Ces souvenirs vivent encore
dans la memoire de ses descendants et je me souviens
de l'interet et de la fierte avec lesquels mon interlocuteur me montrait un
arbre genealogique ou toute la descendance etait exactement marquee.
Dans le pays et surtout a Durazzo, une curieuse
legende a cours: le premier des Topia serait un arriere-petit-fils batard de
Charles d'Anjou et on affirme que dans les environs de Durazzo, on aurait
retrouve des armes portant la barre, signe de la batardise.
Des lors, que l'on veuille bien rassembler ces elements: un
chef de famille feodale, puissant par les ramifications de cette famille, par
ses alliances et ses relations, par son influence sociale et traditionnelle;
une histoire qui se prolonge deja loin dans le passe; des terres situees au
coeur du pays albanais; brochant sur le tout, les debris d'une armee qui
constitue une sorte de garde de corps; n'est-ce point assez pour faire figure
de candidat et Hugues Capet avait-il plus d'atouts en mains, quand, duc de
l'Ile-de-France, ayant ses pairs en Bourgogne, en Languedoc et en Bretagne,
il mit resolument sur sa tete lacouronne vacante.
Les puissances ne l'ont point permis; elles ne
sauraient empecher toutefois Essad d'etre le maire du palais du nouveau roi;
le sera-t-il longtemps, et les elements qui font sa force lui assureront-ils
le succes ou non, il n'importe; mais il faut suivre avec une curiosite
passionnee l'histoire qu'il vit, car elle ressuscite sous nos yeux l'image de
ce que fut, dans le haut moyen age, les essais de fondation des grands Etats
modernes. Les
descendants par alliance des Scanderbeg veulent en etre les heritiers et
porter sur le pavois le chef de leur famille.
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